La machine Enigma
Par Alain Benoist – Administrateur du Mémorial des bunkers de Pignerolle
L’histoire de la machine Enigma

La machine Enigma à 4 rotors
Cette machine Enigma a été inventée initialement par Arthur Scherbius (homme d’affaires allemand et docteur en ingénierie électrique) et Richard Ritter au début des années 20. A partir de 1923, son inventeur allemand la commercialise. Elle est créée par ses inventeurs pour s’amuser mais son prix exorbitant à l’époque (équivalent à 30 000 euros aujourd’hui) en fit un échec cuisant. Trois autres versions commerciales suivent, et l’Enigma-D devient le modèle le plus répandu après son adoption par la Marine allemande en 1926. L’appareil est ensuite repris par l’Armée de terre allemande en 1929. À partir de ce moment, son usage est étendu à toutes les forces armées allemandes et une grande partie de la hiérarchie nazie.
Près de trente-mille modèles civils sont vendus, notamment à des banques ou à de grandes compagnies. Arthur Scherbius fait breveter la machine de chiffrement novatrice qui portera plus tard le nom de Machine Enigma, nom tiré de l’œuvre Variations Enigma, opus 36 (pièce musicale du compositeur britannique Edward Elgar).
Le 8 mai 1919, la section de cryptographie de l’armée polonaise est fondée. Elle contribue à la victoire sur les bolchevistes, pendant la guerre russo-polonaise de 1919-1920. En 1929, le colonel Gwido Langer prend la tête du service.
Dans l’entre-deux-guerres incertain, la Pologne craint les visées expansionnistes d’une Allemagne revancharde, prête à basculer dans le nazisme. Déchiffrer ses communications militaires est devenu un enjeu de survie. Les transmissions allemandes devenant la cible prioritaire, le BS-4, la section allemande nouvellement créé, est dirigée par Maksymilian Ciężki. Les tentatives de décryptage des messages allemands débutent donc en Pologne avant la guerre.
En 1931, le Biuro Szyfrów (bureau de chiffrement polonais) est formé par fusion du bureau de renseignement transmissions et du bureau de cryptographie. Il ne parvient pas encore à lire les messages chiffrés par Enigma.
L’après-midi du dernier samedi de janvier 1929, un colis d’Allemagne est bloqué par la douane de Varsovie. D’après le manifeste, il contient de l’équipement radio. Le représentant de l’entreprise allemande exige que ce colis, expédié par erreur hors valise diplomatique, soit renvoyé en Allemagne avant de passer en douane. Mais alertés par son insistance, les douaniers préviennent le bureau du chiffre qui s’intéresse de très près aux nouvelles techniques. Mandatés par le bureau du chiffre, Ludomir Danilewiecz et Antoni Palluth ouvrent avec mille précautions la boîte qui contient, non pas une radio, mais une machine à chiffrer. Du samedi soir au lundi matin, ils examinent l’engin sous toutes les coutures, avant de le remballer soigneusement. Il s’agit d’une machine à chiffrer commerciale, de marque Enigma. Le bureau du chiffre s’empresse d’en acheter un exemplaire, par des voies tout à fait légales, auprès de son inventeur allemand.
Le 8 juin 1931 à Berlin Hans-Thilo Schmitt entre dans l’ambassade française. Il est employé au bureau du chiffre du ministère de la Reichswehr (littéralement : défense du Reich) et il connait le secret des toutes nouvelles avancées allemandes dans le chiffrement militaire. Il propose de vendre ces découvertes. C’est un noctambule, amateur de femmes, toujours à court de capital financier, surtout après la crise de 1929. Il ne trahit pas son pays par idéologie mais pour de l’argent. Il est reçu dans un hôtel belge par un certain Rodolphe Lemoine (de son vrai nom Rudolf Stahlmann, il est né à Berlin en 1871 et mort à Baden-Baden en 1946), agent triple et personnage trouble ainsi que par le capitaine Gustave Bertrand en poste à Varsovie depuis mars 1931. Il chef des services de transmissions françaises au 2ème bureau, le Service de Renseignement de l’armée française.
Hans-Thilo Schmitt, qui a accès à la documentation d’Enigma, renouvelle ses offres au SR français qui sont acceptées, à condition qu’il fournisse vite un renseignement important, afin de prouver sa bonne foi. A cet instant il devient la source « Asche » et il révèle tout ce que les Français cherchent.
En septembre et octobre 1932, le bureau du chiffre reçoit du capitaine français des copies de documents allemands, deux manuels et deux pages de clefs quotidiennes ; titre des documents : Gebrauchsanweisung für die Chiffriermaschine Enigma (instructions de mise en œuvre de la machine à chiffrer Enigma) et Schlüsselanleitung für die Chiffriermaschine Enigma (instructions de réglage de la machine à chiffrer Enigma). Avec les documents livrés, Gustave Bertrand court prévenir les renseignements français qui n’accordent aucun crédit à ces informations car, pour ces derniers, le chiffrement mécanique est imperméable. Alors il propose ses documents à l’Angleterre qui n’en veut pas non plus, Enigma est un problème bien trop compliqué. Gustave Bertrand sollicite donc par l’intermédiaire de l’ambassade de France en Pologne un rendez-vous d’urgence avec le colonel Gwido Langer qui le reçoit avec enthousiasme. Ces livres de code lui permettent de déchiffrer les premiers messages juste avant que le monde ne bascule avec l’avènement d’Hitler au poste de chancelier.
A la fin de l’année 1932, le jeune (27 ans) et talentueux mathématicien Marian Rejewski (fin 1939 et début 1940, il aurait accompagné le gouvernement polonais en exil à Pignerolle) entre au Biuro Szyfrów. Il y est affecté à la résolution du décryptage des messages allemands. Parmi ses contributions avec ses collègues Jerzy Różycki et Henryk Zygalski, il élabore, en cinq ans, la bomba kryptologiczna (bombe cryptologique : l’engin est baptisé de ce nom parce qu’il fait tic-tac lorsqu’il fonctionne et ne s’arrête que lorsqu’elle à trouvé ce qu’elle cherche).
En 1938, avec la machine qu’ils détiennent, les documents fournis par le capitaine français, les polonais décryptent et lisent 70% des messages allemands. Marian Rejewski fait une des plus grandes avancées de l’histoire de cryptographie, en appliquant des méthodes de mathématiques pures contre Enigma. A partir de cette époque, la cryptographie polonaise est à la pointe. Dix ans plus tard, Marian Rejewski, alors en France, au PC Bruno (nom de code d’une cellule de déchiffrement franco-hispano-polonaise à 40 kilomètres au sud-est de Paris) découvrira que ses cours d’étudiant s’appuyaient sur le livre de cryptographie d’un général français, Marcel Givierge (spécialiste de la cryptologie au début du XXème siècle).
Dans les mois qui précèdent le début de la guerre, les armées allemandes modifient certaines caractéristiques de leurs machines Enigma multiplient par quinze-mille le nombre de clés possibles avec plusieurs milliards de milliards supplémentaires de combinaisons qui réduisent donc à néant ou presque les avancées des scientifiques polonais. Ces derniers ne lisent plus que 10% des messages.
Cinq semaines avant la guerre, avant que le pays ne tombe complètement entre les mains allemandes et avec l’aide de l’officier français, Marian Rejewski et ses collègues présentent le 26 juillet 1939 leurs réalisations aux représentants des services de renseignement français et britanniques, le GC&CS (Government Code and Cypher School, littéralement : Ecole de Code et de Chiffrement situé à Betchley Park) convoqués dans une base secrète en banlieue de Varsovie. Ils leurs fournissent une machine Enigma, ainsi que l’ensemble de leurs découvertes.
A Betchley Park, par la suite, les britanniques travaillent à la re-conception du calculateur. La « Bombe » anglaise se présente sous la forme d’une armoire métallique de deux mètres cinquante de large sur un mètre quatre-vingt de haut équipé de tout un tas de bobines d’une douzaine de centimètres de diamètre disposées à l’avant. L’arrière est monté sur des gonds et s’ouvre sur un entrelacs considérable de câbles multicolores et d’éclat terne des cylindres métalliques.
Ce sont bien les mathématiciens polonais qui réussissent les premiers à déchiffrer les messages cryptés par Enigma grâce à l’aide, entre autres, du capitaine français Gustave Bertrand. Les Anglais le feront plus tard un peu plus vite en remplaçant le système électromécanique par un autre semi-électronique.
Gordon Welchman, mathématicien britannique et cryptographe à Bletchley Park, dira : « Ultra n’aurait jamais décollé si nous n’avions appris des Polonais, au tout dernier moment, tous les détails du fonctionnement de l’Enigma militaire et des procédures de mise en œuvre.»
Peter Calvocoressi, chef britannique de la section Luftwaffe de la Hutte 3 (traduction et analyse de décryptages de la Luftwaffe et de la Heer), dira de la contribution polonaise dira : « Point-clef : que vaut-elle ? D’après les meilleurs juges, elle a accéléré la lecture d’Enigma de peut-être un an. Les Britanniques n’ont pas adopté les techniques polonaises, mais ils ont été éclairés par elles. »
Les cryptologues britanniques intercepteront et déchiffreront une majorité des messages émis. Ils sont également aidés dans leurs travaux de recherche grâce à quelques erreurs commises par les Allemands. Ils exploitent différentes faiblesses dans la façon dont les forces de l’Axe utilisent leur système de codage. Souvent le message commence, par exemple, par des formules de politesse assez convenues, de type « Herr Kommandant », faciles à deviner ou comme ce jeune opérateurs germanique qui utilise systématiquement comme clé les initiales de sa petite amies mais aussi l’habitude des émetteurs de messages codés de terminer à chaque fois par HH (Heil Hitler). Les cryptologues britanniques ne tardent pas, également, à découvrir une faille de la machine Enigma : rien ne se retrouve dans son état initial, un A ne sera jamais crypté par un A, un B ne sera jamais un B, un C ne sera jamais un C et ainsi de suite. De plus, tous les matins, vers 6h00 les Allemands envoient un bulletin météo avec systématiquement le mot « Wetter » (Météo) dans le message. Tous les messages allemands sont écoutés par les britanniques et ne reste plus, pour ces cryptologues, à les identifier.
Mais encore plus méfiante que l’aviation (la Luftwaffe) et l’armée de terre (la Heer), la marine allemande, en mai 1937, introduit une nouvelle procédure, bien plus hermétique qui ne sera plus brisée avant plusieurs années.
Les deux camps tenteront de casser leurs codes respectifs afin de lire le contenu des messages, ce qui soulèvera des difficultés considérables. De leur côté, les Allemands écoutaient les communications britanniques depuis les années vingt. En parvenant partiellement à casser le Naval Cytpher 3 des messages cryptés de la Royal Navy au début de la guerre, les Allemands sont rapidement capables de fournir les indications les plus précises sur les points de rencontre, les routes et les vitesses des bâtiments alliés.
Les Allemands enregistrent leur premier succès dans le déchiffrement des messages Anglais, au printemps 1940, lors des combats devant Narvik. Des analystes de leur BeobachtungsDienst (ou B-Dienst, littéralement : renseignement naval) percent à jour nombre des messages de la Royal Navy.
En novembre 1940, les Allemands auront, en, outre, un coup de chance lorsque le navire corsaire Atlantis ou le croiseur auxiliaire HSK 2, s’emparent de manuels de codage à bord du vapeur Automedon, dans l’océan Indien. Peu après, le B-Dienst réussit régulièrement à percer les messages codés par le commandement de convois. Ces messages touchent souvent à des sujets relativement anodins, comme des bulletins météo, mais ils incluent occasionnellement une suggestion de changement de cap, ce qui contribue à révéler l’itinéraire de certains convois. En réalité, sans qu’aucun des deux camps ne le sache, les Anglais et les Allemands lisent leurs trafics de messages respectifs. Karl Dönitz dirige les meutes de loups gris (surnom des U-Boote) vers les convois et les Anglais déroutent ces derniers pour qu’ils les évitent. Sur cet échiquier, ce sera généralement les Allés qui l’emporteront.
Mais en 1941, les renseignements obtenus par les écoutes du trafic anglais sont moins utilisables depuis que les britanniques changent leur code. A ce moment là, les meilleures sources de renseignements restent les submersibles à la mer et les liaisons téléphoniques avec le B-Dienst.
Avant de décrypter les messages allemands, les Alliés ont des moyens d’y puiser de l’information en misant sur ce que l’on appelait l’analyse du trafic ou TA. Cette analyse comprend plusieurs aspects.
Le premier consiste à simplement surveiller le volume des transmissions : quand le nombre des messages radio augmente subitement, cela suggère l’imminence d’une opération majeure.
Le second repose sur la recherche des origines des émissions radios en utilisant un système de radiogoniométrie à haute fréquence identifié par l’acronyme HF/DF (High Frequency/Direction Finder) et surnommé huff-duff. Les navires d’escorte britanniques en seront équipés à partir de 41/42. Ce système de repérage par radiogoniométrie hérité du RDF de la première guerre mondiale. Comme les stations terrestres de radiogoniométrie, le HF/DF permet de repérer précisément la direction d’où provient une émission radio. Un opérateur d’expérience peut même estimer la distance de la source. Ainsi, lorsqu’un message radio émis par un U-boot est détecté, le commandant d’escorte peut envoyer un navire d’interception à sa rencontre. Si trois navires sont équipés du HF/DF, les opérateurs obtiennent par triangulation la position précise du U-boot. Il permet de localiser jusqu’au émissions radio les plus brèves et d’en garder une trace. Or, c’est justement par un complexe système de courts messages radio codés que communiquent les U-Boote avec leur État-major à terre pour transmettre leurs rapports de situation, de contact, météo, etc. Sans avoir à décrypter ces émissions, les britanniques arrivent ainsi à situer précisément la source. Souvent ignorée ou sous-estimée, cette invention contribue grandement au rétablissement britannique dans la bataille de l’Atlantique. Mais pour les Allemands, la détermination possible de la position des submersibles à la mer est un risque accepté de la tactique en meute (ou Rudeltaktik). La rupture de la communication avec l’État-major reste, pour le BdU, inenvisageable et inacceptable.
Pour que ce système d’espionnage reste durablement efficace, il faut aussi que les Allemands ne se doutent de rien, faute de quoi la sécurité de leurs transmissions aurait été modifiée. Par exemple, en Méditerranée, les messages allemands et italiens qui annoncent la route et le calendrier des convois de ravitaillement des forces de l’Axe en Tunisie et en Libye sont couramment décryptés par les spécialistes britanniques, mais l’attaque est précédée d’une reconnaissance aérienne qui trouve le convoi, soit disant, par hasard.
Le 9 mai 1940 sera la véritable percé britannique avec la capture d’une machine Enigma M3097, en état de marche, accompagnée du code du jour et d’autres instructions secrètes, est saisie sur le U-110 suite à son arraisonnement par HMS Bulldog qui escorte un convoi à l’est du cap Farvel (sud du Groenland). Le commandant du submersible n’est autre que Fritz-Julius Lemp, responsable du naufrage du l’Athénia en 1939. Il est contraint de faire surface en catastrophe après un grenadage. L’ordre d’abandon est donné ainsi que celui du sabordage mais les explosifs ne fonctionnent pas. Une chaloupe du destroyer avec une équipe anglaise est envoyée en même temps à bord du U-Boot toujours à flot et le télégraphiste Allen O. Long récupère, entre autres, l’exemplaire de la machine avec les clefs du jour. Fritz-Julius Lemp est probablement mort tué par les tirs provenant de la chaloupe ou noyé en tentant de retourner sur son submersible en nageant pour terminer le sabordage du bâtiment qui refuse de couler mais d’autres historiens évoquent l’hypothèse qu’en réalisant les implications de la capture de son bateau, il se serait noyé volontairement. Aussitôt informée, l’Amirauté britannique impose un black-out total. Winston Churchill lui-même n’est mis au courant de la prise que quelques semaines plus tard.
Le décryptage des messages allemands est maintenant plus important. Ils sont ensuite croisés avec d’autres sources d’informations importantes provenant des réseaux de résistants français. Ces soldats de l’intérieur infiltrent les bases sous-marines allemandes surtout celle de Lorient où Jacques Stosskopf, l’un des plus remarcables espions de la résistance française devient sous-directeur de la base où se trouve le quartier général de l’Amiral Karl Dönitz jusqu’en 1943 : les écussons sur les kiosques des U-boote, les fanions, les sorties et les retours de missions, des bons de commande adressés à l’arsenal français, les sacs de linge déposés en blanchisserie avec le nom des soldats, les indiscrétions des marins allemands dans les bars, rien n’échappe à son équipe.
Suite à la capture de la machine Enigma saisie à bord du U-110, des livres de code et des informations de la résistance, l’équipe de cryptographes britanniques avance énormément et se trouvent maintenant en mesure de décrypter en partie les messages allemands. L’opérational Intelligence Center (ou OIC, littéralement : Bureau de l’Amirauté chargé de l’exploitation des données de Betchley-Park) de la Admiralty House dans le quartier de Pall Malle, les exploite et permet aux convois prévenus de la présence des U-Boote sur leur route, de les éviter plus souvent.
Mais la Royal Navy organisera, par ailleurs, plusieurs coups de main contre des navires-météo et des chalutiers armés allemands.
Mars 1941 dans les iles Lofoten (archipel du nord de la Norvège), avec l’arraisonnement du Krebs, des équipes de prise monteront à bord du chalutier allemand abandonné par leur équipage. Le capitaine du bateau jette sa machine Enigma par-dessus bord mais les commandos britanniques réussissent à saisir des retors de rechange.
Deux mois plus tard, la capture du navire météorologique allemand Muenchen (ville de Munich en allemand) livra un exemplaire de la clef codée Enigma pour le mois de juin.
Maintenant et grâce aux informations en leurs possessions, les décrypteurs britanniques sont plus rapides mais l’obtention du sens du message n’est pas encore total pour qu’il présente une pertinence opérationnelle. Ils persévèrent, néanmoins à l’été 1941, ils sont capables de lire des messages sélectionnés en moins de 36 heures après interception.
Dans la nuit du 30 octobre 1942, un destroyer britannique, le HMS Petard, qui protège un convoi, découvre le U-559 et le pousse à faire surface au large de la côte égyptienne. Les grenades anti-sous-marines de trois autres destroyers, les HMS Pakenham, HMS Hurworth et HMS Dulverton soutiennent son effort. L’équipage allemand doit abandonner le navire, quatre membres périssent dans les explosions ou meurt noyés. Convaincu que leur navire coulerait, l’équipage organise, malgré tout, le sabordage mais ne réussit pas à détruire les livres-codes et la machine Enigma. Les sous-mariniers allemands vivants sont capturés par les troupes britanniques. Alors, des marins alliés nagent rapidement vers le navire et s’emparent de quelques livres de codes. Mais deux marins se noient alors que le submersible coule. Les Britanniques possédaient déjà une machine Enigma mais ne parvenaient pas à l’exploiter complètement.
Dans d’autres domaines militaires (Heer, Panzerdivision, Luftwaffe…), les sujets de sa Majesté espionnant toutes les conversations du IIIème Reich et des autres forces de l’Axe peuvent ainsi anticiper et déjouer nombre d’opérations du plan de bataille ennemi.
Le dimanche 4 juin 1944, suite à un grenadage anti-sous-marin par le Pillsbury, un destroyer américain et de deux Wildcats (avion en service dans l’aéronavale britannique), le Kapitänleutnant Harald Lange est obligé de faire surface. Ordre est donné d’évacuer le bâtiment. Le U-505, évacué par son équipage, il est abordé par une chaloupe du destroyer. Les marins américains s’emparent du U-Boot, de ses appareils radars, des documents et des codes secrets, neutralisant 13 des 14 charges de sabordage connues pour être installées dans ce type de bâtiment. Il s’agit de la première prise en haute mer d’un navire ennemi par la marine des États-Unis depuis la guerre de 1812. Les autorités navales américaines, voulant garder le secret, décident de diriger le U-505, non vers Dakar au Sénégal le port le plus proche, mais vers les Bermudes qui se trouvent à 1 700 milles, pour faire croire à Karl Dönitz que le submersible a coulé avec son équipage et avec ses codes secrets. Le 19 juin 1944, le U-505, remorqué et battant pavillon américain, entre dans la baie de Port Royal, révélant un nouveau type de torpilles : la torpille acoustique G7es ou T5 Zaunkönig pour laquelle les alliés n’avaient aucune information fiable. Depuis 1954, il est exposé au Museum of Science and Industry de Chicago.
Dans la Kriegsmarine, les machines Enigma sont fournies avec un jeu de six, sept puis huit rotors. Parmi ces derniers, quatre sont choisis et placés simultanément dans la machine. Dans la Heer et la Luftwaffe, les machines Enigma ne sont pas identiques mais possèdent toutes trois rotors jusqu’à mi décembre 1938, où le nombre est porté à cinq. Ils ne sont pas utilisés simultanément : un jeu de cinq rotors est fourni avec la machine, mais l’opérateur en choisi trois parmi les cinq.
Chaque arme est jalouse de ses prérogatives et rechigne à collaborer avec les autres. Par exemple Hermann Goering mettra donc beaucoup de temps à fournir des avions à la marine pour constituer une aéronavale digne de ce nom qui aurait pu inquiéter bien plus les convois alliés qu’elle ne l’a fait. Un ordre du Führer finira par le contraindre. Le régime nazi est en fait constitué de baronnies concurrentes ce qui conduit à une énorme gabegie de ses ressources limitées. Dans ces conditions chaque arme a sa stratégie de chiffrement.
En réaction à l’opération Torch en Afrique du nord, les Allemands incitent les Italiens à adopter la machine Enigma dans leurs communications navales. Betchley Park écoute les messages de Rome aussi bien que ceux de Berlin.
Le fonctionnement de la machine Enigma
Cette absence de bombardement de Pignerolle s’explique possiblement en raison de l’importance d’intercepter tous les messages énigmatiques émis du Führer der Unterseeboote West (ou FdU à l’ouest de l’Europe, littéralement : commandant en chef de l’arme sous-marine) et cryptés par cette machine.
Ceux de la Kriegsmarine sont à destination de tous les bâtiments pour la mise en place de la stratégie en mer de l’État-major. La majorité de ces communications entre celui-ci et les bâtiments sur le champ des opérations militaires ou entre les navires eux-mêmes s’effectuent par radiotélégraphie à l’aide du code international morse. Les communications sont possibles avec le bâtiment tout pendant que celui-ci est en surface ou en plongée ou, au maximum, à une profondeur périscopique, les ondes ne pénètrent pas sous l’eau. Vers le milieu du conflit les améliorations techniques lui permettent de recevoir les messages radio en immersion plus importante jusqu’à une profondeur de trente mètres, suivant les conditions météorologiques.
Il est donc primordial très rapidement de crypter les messages et de ne plus communiquer en clair. Pour crypter ses messages, la Wehrmacht utilise depuis les années 30, alors massivement, une version militaire de la machine Enigma (Die Chiffriermaschine Enigma en allemand) et l’améliore, ils en fabriquent cent-mille exemplaires. La Wehrmacht, les Panzerdivisionen, la SS, les services ferroviaires, la police… en sont équipées.
Les suspicions allemandes
Première hypothèse : Le décryptage de l’Enigma est resté un secret pendant la guerre et même au delà. L’armée allemande ne s’est jamais doutée que les alliés avaient réussi à décrypter leur code et à se procurer des machines et des livres de code.
Mais le déroulement de la bataille de l’Atlantique se déroule de manière troublante pour les Allemands. Le premier fait observé par l’État-major de la Kriegsmarine est la facilité déconcertante avec laquelle l’ennemi déroute ses convois en contournant les meutes de U-Boote. Les rapports ennemis interceptés confirment que les convois connaissent précisément l’emplacement des groupes de submersibles et le premier fait observé par l’État-major de la Kriegsmarine est la facilité déconcertante avec laquelle l’ennemi déroute ses convois. Un jour où 3 U-boote ont rendez-vous près d’une petite île de la mer des Caraïbes un destroyer britannique surgit. Les U-Boote s’échappent et rendent compte. Karl Dönitz demande une enquête. L’étude indique que le problème, s’il y en a un, ne vient pas de la machine Enigma mais d’éventuelles fuites dans son entourage. Les rapports ennemis interceptés confirment que les convois connaissent précisément l’emplacement des groupes de submersibles. Karl Dönitz a conscience que les convois manœuvrent pour éviter ses U-Boote. Pour les Allemands, humainement, il est impossible de percer le secret du cryptage et, en cela, ils avaient raison car ce n’est pas un homme seul qui y parviendra, mais une équipe hétéroclite aidée d’immenses calculateurs. Le B-Dienst lui ayant assuré que les codes Enigma sont inviolables, il en conclut que les Britanniques et les Américains se servent de radars à longue portée embarqués dans les avions pour pister ses meutes. Dès lors, des précautions sont prises contre un possible espionnage dans son quartier général et le nombre de ceux qui ont accès aux secrets opérationnels est réduit à son strict minimum. On stoppe également le double des comptes-rendus de position, quotidiennement adressés jusque-là à d’autres commandements. Au printemps 1943, alors que les Alliés semblent avoir finalement pris le dessus dans la chasse contre leur commerce maritime, Karl Dönitz, néanmoins, fait également changer les livres de chiffres, complexifie la mécanique par l’ajout, dans la machine Enigma navale (Enigma M4) d’un de rotor complémentaire bloquant ainsi les décryptages anglais seulement pendant un temps. En 1942, le B-Dienst retrouve son efficacité d’antan, alors que les décrypteurs alliés butent sur les complications apportées à Enigma par une nouvelle grille de codage. Contrastant avec les revers terrestres, les U-Boote atteignent, de nouveau, un recors.
Les Allemands garderont pendant toute la durée de la guerre une confiance totale en leur machine. Tous les État-majors de la Wehrmacht restent confiants quant à sa sûreté. Au vu et au su de tous, ils s’échangent des messages radios-cryptées pour toutes les communications secrètes entre les différents Quartier-généraux et toutes les troupes sur le terrain ainsi que pour les communiqués entre les ambassades jusqu’à la fin.
Il faudra attendre 1978 avec le livre, « The Ultra Secret », de Frederick William Winterbotham (officier de la Royal Air Force et du MI6 ayant supervisé le programme Ultra pendant la Seconde Guerre mondiale) pour que Karl Dönitz admette la réalité du travail accompli par les décrypteurs de Betchley-Park. Plusieurs anciens se sentent alors libres de révéler quel fut leur travail du temps de guerre. Il y a peu encore d’autres s’estimaient tenus au silence. Karl Dônitz n’en parlera pas, et pour cause, dans ses mémoires intitulés dix ans et vingt jours publiées en Allemagne en 1959.
Seconde hypothèse : Les Allemands ont commencé à soupçonner les Britanniques d’avoir décrypté les messages chiffrés par Enigma dès 1942. Ils imaginent que leurs codes n’est pas « incassables » et c’est pour cela que la machine Enigma sera améliorée au fil des ans. En décembre 1940, des enquêteurs allemands retrouvent, dans les archives françaises capturées à Paris et à La Charité-sur-Loire, trace de tentatives de vente de codes et chiffres et de deux contacts d’agents au bureau allemand du chiffre et au bureau de recherches du ministère allemand de l’air. De plus, les Allemands travaillent sur leurs propres ordinateurs conçus par Konrad Zuse (ingénieur allemand qui fut l’un des pionnier du calcul programmable) pour casser les codes alliés, ils supposent donc que les Alliés font de même pour casser le cryptage par la machine Enigma.
Et après la guerre ?
Les cryptographes allemands seront interrogés par des spécialistes de la mission TICOM (Target Intelligence Committee ou Comité du renseignement ciblé). Les interrogateurs seront surpris que leurs prisonniers sachent qu’Enigma n’était pas « indécryptable ». Ce qui leur semblait inconcevable, en revanche, c’est que leur ennemi arrive à faire fonctionner un bâtiment plein d’équipements pour y arriver.
Et la plupart des généraux allemands verront leurs soupçons confirmés lorsque le décryptage d’Enigma deviendra public.