Le gouvernement polonais en exil à Pignerolle
Par Alain Benoist – Administrateur du Mémorial des bunkers de Pignerolle
Les relations franco-polonaises sont fort anciennes et la Pologne est un des rares pays d’Europe continentale, avec lequel la France n’a jamais été en guerre. De plus, notamment depuis la période napoléonienne, les Polonais sont francophiles.
Léon Noël, ambassadeur de France à Varsovie, voulant faire entrer son action dans l’histoire, demande à la France, avec le gouvernement polonais, si elle était prête à lui donner asile dans les mêmes conditions que celles dont le gouvernement belge a bénéficié d’octobre 1914 à novembre 1918 à Sainte-Adresse.
Ainsi, le 5 octobre 1939, le gouvernement polonais s’installe à Paris. Cependant, un mois plus tard, le gouvernement d’Edouard Daladier [1], sur les conseils de Léon Noël décide de le déménager à 300 kilomètres à l’ouest de Paris, à Saint-Barthélemy-d’Anjou dans le parc de Pignerolle et dans les châteaux proches.
Les Polonais en Anjou
Le 22 novembre 1939 à 14H30, en gare Saint-Laud, de la troisième voiture du train descend le général Władysław Sikorski accompagné de ministres de son gouvernement.
Le 2 décembre de la même année à 14H42, arrive, discrètement et revêtant un caractère privé, dans la petite gare de Trélazé le train présidentiel de Władysław Raczkiewicz. Un cortège se forme qui les conduit au château de Pignerolle. Sans solennité, seuls l’attendent dans la cour d’honneur la Garde Officielle et un détachement du 6ème Génie d’Angers. Sur le perron, Louis Lipreau, maire de Saint-Barthélemy-d’Anjou, entouré de deux de ses adjoints adresse ses vœux de bienvenue. La presse française est censurée et n’a donc pas de droit à l’information. La population angevine est seulement prévenue la veille dans un petit article de presse mais est, toutefois, déjà au courant à cause de l’organisation des lieux.
Dans un premier temps, les Angevins exigent des polonais et du corps diplomatique qui les accompagnent, des prix exorbitants pour leur louer des immeubles convenables. L’ambassadeur français encourage le préfet à recourir à l’expulsion des propriétaires. Les résultats de cette demande ne seront pas à la hauteur des espérances en raison de l’intervention d’un de ces propriétaires au Conseil d’Etat, engendrant la colère de Léon Noël. Il préfère donc, dès le 25 octobre, demander à Daladier un décret-loi permettant l’expulsion des Angevins récalcitrants.
Par la suite, la population angevine est honorée, accueillante et chaleureuse. Elle reconnaît et compatit avec le malheur de la nation polonaise en exil. Les représentants français sont présents lors des cérémonies en l’honneur de la Pologne et inversement.
Le président Władysław Raczkiewicz est logé dans le château du parc de Pignerolle. La première résidence du général Władysław Sikorski est au château de la Coutellerie à Saint-Lambert-la-Potherie, mais étant trop grand celui des Perruches à Saint-Sylvain-d’Anjou, plus modeste lui est préféré. Le château de la Baronnerie, également à Saint-Sylvain-d’Anjou, accueillera le ministre des affaires étrangères. Les principales administrations polonaises sont installées à Angers, boulevard Foch, où se trouve aussi, au no 3, l’ambassade de France. Léon Noël lui-même emménage sa résidence privée à Avrillé, au château de la Garde.
Au château de Pignerolle du 3 décembre 1939 au 14 juin 1940, toutes les décisions du gouvernement polonais ainsi que celles du chef des armées y sont prises.
Le gouvernement et l’armée polonaise trouvent en France une seconde patrie. La présence de ce gouvernement induit celles de nombreux services : chancelleries étrangères et autres. En effet, il ne s’agit pas d’un gouvernement provisoire en exil dans le cadre de la présence temporaire en territoire français mais du gouvernement légal. En conséquence, certaines missions diplomatiques accréditées à Varsovie ont rejoint Pignerolle. Sur toute cette période, Saint-Barthélemy-d’Anjou est la capitale de la Pologne.
L’état Polonais existe toujours et fait partie du Front Unique des Alliés. Malgré la défaite, les Polonais ne déposent pas les armes. La création de l’armée se concrétise le 4 janvier 1939. La nouvelle armée constituée par le gouvernement polonais doit comprendre plus de 80 000 soldats. L’accord franco-anglo-polonais du 25 octobre 1939 confit la réorganisation de l’armée de l’air plus particulièrement à la France. Des centres d’instruction des pilotes de chasse et pour le bombardement voit le jour à Châteauroux, Salon-de-Provence, Le Bourget, Rouen, Cherbourg… Les deux principaux camps d’entrainement de l’armée de terre polonaise sont Coëtquidan dans le Morbihan et Saint-Loup dans les Deux-Sèvres. Un bataillon du Génie militaire, composé de trois compagnies s’installent entre Angers, les Ponts-de-Cé et Sainte-Gemmes. La marine doit se reconstituer en Grande-Bretagne.
La maîtrise des finances est difficile à tenir avec la catastrophe du pays. La nécessité d’une assistance dans ce domaine n’a pas échappé au gouvernement français. L’attribution d’un prêt de 600 millions de francs est consentie afin de faire face à ses dépenses gouvernementales en France. De plus, avant même de quitter le territoire, le gouvernement polonais envisage le transfert en France de la quasi-totalité du stock d’or gardé dans les agences de la banque polonaise. En passant par Bucarest et Beyrouth alors sous mandat de la France, soixante-dix tonnes d’or arrivent par bateau pour être entreposé à l’agence de la Banque de France à Nevers. Cent tonnes de valeurs et de billets polonais feront l’objet d’un autre transport.
Le départ vers Londres
Devant le rapide et irrépressible Blitzkrieg allemand durant la campagne de France, le gouvernement et les soldats polonais décident de quitter l’Anjou et le parc de Pignerolle à l’aube du 15 juin 1940 pour, dans un premier temps, rejoindre Libourne et Saint-Jean-de-Luz. Ils veulent atteindre l’Espagne mais la frontière est fermée. Lors du voyage, certains les accusent d’être la cause pour laquelle la France est la cible des Allemands.
Entre le 18 et le 22 juin 1940, les troupes polonaises sont rapatriées en Angleterre grâce à un plan d’embarquement de la Royal Navy. Le 18 juin, le président Władysław Raczkiewicz s’embarque à Arcachon avec quelques ministres et l’ambassadeur anglais Howard Kennard à bord du croiseur HMS l’Arethusa. Ce même 18 juin, le premier ministre Władysław Sikorski et plusieurs membres du gouvernement s’embarquent dans l’hydravion mis à leur disposition par le premier ministre anglais. Il est accueilli à Londres par le Roi Georges VI le 19 juin 1940. L’armée polonaise en exil comptera assez de soldats pour qu’elle reste légitime.
Dès lors, le gouvernement polonais n’a plus de représentant et de contact direct avec la France. Un État-major anglais lui succéda dans le château de Pignerolle mais ne restant que deux jours, la débâcle a commencé.
Mais pourquoi Pignerolle ?
Léon Noël connait les liens historiques entre le Pologne et l’Anjou : La reine Hedwige 1er de Pologne[2], membre de la maison Anjou-Sicile qui a onze ans lors de son couronnement le 16 octobre 1384 à Cracovie. Outre ses nombreuses initiatives, elle popularise le culte de la célèbre icône de la Vierge noire de Jasna Gora.
Deux siècles plus tard, le 9 mai 1573, le Duc d’Anjou, futur Henri III est choisi par la Diète [3] de Varsovie pour être roi de Pologne et Grand-duc de Lituanie sous le nom de d’Henryk Walezy [4] pour succéder au roi Sigismond-Auguste mort sans héritier mâle en 1572. A cette époque, la monarchie polonaise a la particularité de faire élire ses rois par l’ensemble des membres de la noblesse du pays. Les princes étrangers peuvent aussi postuler. Mais abrégeant son règne secrètement, il quitte la Pologne et prend la suite de son frère Charles IX sur le trône de France, mort prématurément à vingt-quatre ans le 30 mai 1574.
De plus, la situation géographique de Saint-Barthélemy-d’Anjou est avantageuse :
- Cette commune est loin des frontières donc si l’invasion allemande progresse dangereusement, le gouvernement polonais est protégé et a le temps de se réorganiser. Pas trop éloignée de Paris, les communications avec la capitale sont très correctes et la région est à l’abri des brouillages causés par les installations industrielles.
- En outre, pour les polonais, la possibilité de se retrouver dans une province à forte tradition religieuse et enfin la proximité du Morbihan et des Deux-Sèvres finissent de motiver le choix final de Pignerolle.
Un temps, les villes de Nevers et de Vichy sont envisagées mais non retenues car trop éloignées de Paris.
Des conditions irréprochables d’accueil sont nécessaires. Ce transfert de Paris dans le Maine-et-Loire du gouvernement polonais plonge Léon Noël au cœur de problèmes matériels. Comme beaucoup de villes le constatent à cette époque, bien des logements sont de médiocres conditions. Il y a un manque notoire d’hébergements décents. La politique foncière suivie entre les deux guerres en est la cause.
[1] Président du Conseil entre juin 1936 et mai 1940 sous la présidence d’Albert Lebrun.
[2] Roi (et non pas reine qui est l’épouse du roi) de Pologne de 1384 à 1399U date de sa mort. La jeune femme est devenue la patronne de la nation polonaise et a été canonisée par Jean-Paul II le 8 juin 1997.
[3] La Diète polonaise est issue de plusieurs assemblées temporaires de la noblesse polonaise ayant existées entre le IXe et le XIVe siècle. La Diète, au départ, est réservée à la noblesse. Au fil du temps, elle confisque progressivement les pouvoirs du souverain et s’impose comme seul organe décisionnel de la République de Pologne.
[4] Henri de Valois.