Bletchley Park
Par Alain Benoist – Administrateur du Mémorial des bunkers de Pignerolle
Bletchley Park : une histoire internationale teintée d’une histoire locale

Bletchley Park
Le 15 août 1939, dans un manoir anglais sur la commune de Betchley, manoir à 85 kilomètres au nord-ouest de Londres, le gouvernement britannique installe le principal site de décryptage des messages de l’armée allemande. Cette station secrète d’interception radio voit, au premier étage, s’installer également une antenne du MI-6 (Military Intelligence, section 6 : service de renseignement extérieur).
Alan Turing, mathématicien de 28 ans, cryptologue britannique, s’emploiera à démultiplier les capacités du cerveau humain, en associant mathématiques et l’électronique. Il améliore le calculateur polonais destiné à passer en revue extrêmement rapidement les différents paramètres possibles d’Enigma, aidé en cela par les travaux initiaux et les saisies de ses prédécesseurs ainsi que de la récupération d’une machine Enigma avec ses livres de codes sur le U-110 et de certaines erreurs des Allemands. Il est entouré de mathématiciens, linguistes, champions d’échecs, experts en mots croisés, polyglottes et autres spécialistes différents. En janvier 1945, quelque 10 000 militaires et civils travaillent à Bletchley-Park. 80 % des britanniques présents y sont des femmes de confiance recrutées pour les tâches administratives et des Wrens (Women’s Royal Naval Service : branche féminine de la Royal Navy).
Plusieurs exemplaires de sa bombe cryptologique prototypes des ordinateurs modernes, est un immense calculateur, amélioration de celle conçue par les polonais et passant en revue l’intégralité des possibilités issues du cryptage des messages allemands par la machine Enigma. Puiseurs fonctionnent simultanément à Bletchley-Park. Plus tard pendant la guerre y est même construit un des premiers véritables ordinateurs électroniques modernes, Colossus Mark 1 qui est une série de bombes cryptologiques qui travaillent en même temps. Le premier est construit en l’espace de onze mois et opérationnel en décembre 1943, par une équipe dirigée par l’ingénieur Tommy Flowers. Il s’attaque avec succès à la machine Lorenz, autre machine de chiffrement à rotors, utilisées par Hitler pour communiquer par télecripteur avec ses Quartiers Généraux et ses plus proches généraux, pourtant plus robuste qu’Enigma et aux machines Hagelin (modèle de machine de codage utilisée par la marine italienne), Purple et JN-25 (modèles de machine de codage utilisées par la marine japonaise).
Ultra est le nom donné à cette équipe hétérogène comme aux méthodes utilisées pour briser l’encodage obtenu en décryptant les transmissions ennemies. Winston Churchill dira d’Ultra « Ces oies qui pondaient des œufs d’or et jamais ne caquetaient ». Tous les salariés impliqués signent la loi sur le secret.
L’intelligence acquise par les décrypteurs britanniques contribue à la défaite des puissances de l’Axe. L’exploit de ces combattants sans armes va raccourcir la guerre de plusieurs mois, voire d’années et épargner des centaines de milliers de vies humaines. L’historien allemand Jürgen Rohwer estime que le déroutement des convois grâce aux renseignements Ultra permit aux Alliés de sauvegarder jusqu’à deux millions de tonnes de navires sur la durée du conflit.
Désormais considéré comme un inventeur surdoué, en 1952 Alan Turing est condamné à un traitement hormonal en raison de son homosexualité. Il aurait mal supporté ce traitement qui le pousse au suicide le 7 juin 1954 à 42 ans. Le lendemain, sa gouvernante le retrouve mort dans son lit avec une pomme croquée sur sa table de nuit. L’autopsie conclut à un décès par empoisonnement au cyanure. Le moyen d’ingestion du poison aurait été cette pomme qu’il aurait partiellement mangée (une légende tenace et démentie qui y voit l’origine du logo de la firme Apple), et qui aurait été préalablement imbibée de cyanure. Il n’existe pas de certitude à cet égard, la pomme n’ayant pas été analysée. Toutefois, un historien et philosophe anglais spécialiste de la vie d’Alan Turing, estime que la mort de celui-ci est accidentelle. Il avance les arguments suivants : Turing ne montrait aucun signe de dépression et, peu avant sa mort, avait noté des projets par écrit. Il avait l’habitude de faire des expériences chimiques et détenait du cyanure à cette fin. Il lui arrivait d’être imprudent dans ces expériences, goûtant par exemple des produits pour les identifier. Il aurait pu également inhaler ou avaler accidentellement une solution cyanurée qu’il utilisait pour dissoudre de l’or.
Une reconnaissance et des excuses officielles du gouvernement britannique interviennent en 2009 et le pardon royal est accordé en 2013.

Alan Turing